*
MontbaZine 2025

















Si le RN prenait le pouvoir...
avons nous oublié d'en avoir peur ?


L'hypothèse d'une majorité RN à l'Assemblée nationale et à l'Élysée est désormais crédible, sinon probable. Cela, dans une sorte d'indifférence générale...

Sondages, éditorialistes ou tout simplement mon entourage, peut-être le vôtre. En 2027, se dit-on, le RN prendrait l'Élysée et l'Assemblée nationale, par la voix démocratique. Mais ce ne serait qu'une parenthèse. Est-ce si sûr ?

Ce qui était invraisemblable ou terrifiant en avril 2002 –on se souvient du "NON" de Libé barrant sa une, au lendemain du second tour de la présidentielle– s'apparente aujourd'hui à une parenthèse, disons-le, quasi indolore. Les causes sont multiples et il n'est pas nécessaire de les détailler ici. Notons simplement que la respectabilité du Rassemblement national (RN) voulue par Marine Le Pen, qui a fait le ménage dans ses troupes pour en extraire les individus les plus infréquentables, favorise l'hypothèse de son accession au pouvoir.

Tranquillement, le RN est devenu le premier parti en France
D'une élection à l'autre, la progression est presque constante. Se souvient-on que Jean-Marie Le Pen totalisait faiblement 190.921 voix et 0,75% des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle de 1974 ? Et que l'électorat frontiste (devenu RN) est passé de quelque 4 millions de voix dans les années 1990-2000 à plus de 13,2 millions au second tour de l'élection présidentielle 2022 ? Il avait fallu le cynisme d'un François Mitterrand, sortant une proportionnelle de son chapeau, pour faire accéder trente-cinq députés à l'Assemblée nationale en 1986. Au scrutin majoritaire, l'on en compte quatre-vingt-huit depuis juin 2022.

Le succès appelant le succès, les prochaines échéances s'annoncent triomphales. Aux élections européennes, la liste du RN caracole en tête des sondages, qui lui accordent 27 à 30% des intentions de vote. Pas mal pour des parlementaires antieuropéens et souvent absents ! Et 2027 ? Impossible à prédire évidemment, mais un sondage commandé par Les Républicains (LR) en décembre 2023 donne déjà le ton. Ses résultats "donnent pour la première fois la majorité à l'extrême droite à l'Assemblée nationale […] avec une projection inédite […] entre 243 et 305 députés", soit la possibilité d'une majorité absolue (289 sièges).

Une "purge" nécessaire, mais éphémère ?
Évidemment, rien ne dit qu'il y aura des législatives anticipées et bien des événements auront lieu d'ici à 2027. Mais l'hypothèse d'une majorité RN à l'Assemblée nationale et à l'Élysée est désormais crédible, sinon probable. Cela, dans une sorte d'indifférence générale, qui contraste fortement avec l'effroi et l'indignation d'autrefois, au XXe siècle, c'est-à-dire une éternité. À la peur des années 1990, au choc de 2002, a succédé une manière de résignation plus ou moins angoissée. Voici le moment impensable et impensé où nous nous disons : "Le RN au pouvoir ? Oui, il faudra bien en passer par là…"

Et c'est sans doute une erreur. Car percevoir cette accession au pouvoir comme un mauvais moment à subir, une "purge" nécessaire avant le retour à la normalité, un simple passage en somme, est probablement notre ultime naïveté. La confrontation au réel s'impose, peut-on dire pour se rassurer : l'électorat a besoin de tester la capacité des troupes marinistes à exercer le pouvoir. Mais, en confrontant les promesses à une réalité forcément décevante, il comprendra son erreur. Bien vite, sa déception nous ramènera au cours normal de la vie politique. Ce raisonnement est parfaitement imbécile.

Si le RN accède au pouvoir, il pourrait le garder longtemps. Et cela n'a rien à voir avec notre capacité à brandir à tout instant les "heures les plus sombres" en agitant le spectre de Jean-Marc Proustmilices nazies dans nos faubourgs. Le RN n'aurait nullement besoin d'un régime autoritaire, et encore moins militaire, pour exercer et garder le pouvoir. Tout simplement parce que le pouvoir appelle le pouvoir.

Le populisme de droite peut garder le pouvoir... démocratiquement
Il suffit de regarder autour de nous en Europe : les mouvements populistes nationalistes se généralisent et s'enracinent. Cela n'a rien de feux de paille : en Pologne, le parti Droit et justice (PiS, Prawo i Sprawiedliwość, PiS) a exercé le pouvoir durant de nombreuses années. En Hongrie, Viktor Orbán est aux manettes depuis près de quatorze ans. En Italie avec Georgia Meloni, aux Pays-Bas avec le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders, en Slovaquie avec le Smer-SD de Robert Fico, le populisme d'extrême droite prend les commandes ou s'en approche.

Source : Slate - Jean-Marc Proust