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MontbaZine 2024















Tentation obscurantiste

Le Pen, Dupont-Aignan, Mélenchon :
la tentation obscurantiste
Laurent Joffrin

La campagne oblique menée par certains leaders de l’extrême-droite contre les vaccins anti-Covid a quelque chose d’indécent. Tour à tour, avec des circonvolutions plus ou moins embrouillées, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan ont rejoint le chœur déjà bruyant des "vaccino-sceptiques". Sans attaquer de front le principe de l’inoculation préventive (tout de même…), ils se sont répandus en doutes, en questions subreptices, en réflexions faussement candides, pour prendre leurs distances avec les campagnes de vaccination que le gouvernement se dispose à entreprendre. Las ! Ils ont été rejoints par un leader pourtant dévoué, en principe, à la cause de la science et de la raison, Jean-Luc Mélenchon, qui a lui aussi alimenté la machine à douter des vaccins, même si, in fine, il a confessé qu’il s’en remettrait à son médecin. Tardif réflexe de sagesse.

Ces trois esprits forts soutiennent que nous ne pouvons juger à ce stade de l’efficacité des vaccins qui se présentent ces jours-ci sur le marché. Ce faisant, ils négligent une réalité que tout le monde doit connaître. Le vaccin Pfizer, le premier disponible, que la Grande-Bretagne et les États-Unis ont commencé d’utiliser, a été testé sur un échantillon de quelque 40 000 patients. Les uns ont été vaccinés, les autres ont reçu un simple placebo. Dans le premier groupe, 8 personnes ont contracté la maladie, dans le second 262. Seules 2% des personnes du premier groupe ont subi des effets secondaires, plutôt bénins. Difficile, dans ces conditions, de proclamer qu’il y a un doute sur le caractère prometteur de l’expérience.

"Oui, mais on manque de recul", disent ces trois Saint-Thomas, qui ne croient que ce qu’ils voient. Le vaccin venant d’être mis au point, la réflexion ne manque pas de pertinence… On peut même l’appliquer à tout nouveau médicament. Avec une réflexion pareille, on n’aurait jamais tenté quoi que ce soit en pharmacie. Quand les antibiotiques ont été inventés, avec une efficacité évidente, "on manquait de recul". Il fallait donc les interdire en attendant d’en savoir plus sur les effets secondaires ou sur leur efficacité de long terme ?

Pour atténuer leur responsabilité, les sceptiques indiquent benoîtement qu’il s’agit d’un choix individuel, qu’ils préfèrent attendre de voir avant de se décider personnellement, laissant chacun libre de choisir. Insigne courage de ces responsables politiques : ils préfèrent laisser à d’autres les risques qu’ils anticipent, pour se déterminer quand les autres citoyens auront essuyé les plâtres à leur place.

Marine Le Pen va même plus loin. Elle attend de voir pour elle-même, mais elle exige que les personnes qui arrivent en France soient obligatoirement vaccinées. Ce qui revient à se servir des étrangers comme cobayes avant d’appliquer la médication aux Français et à elle-même. L’inconscient xénophobe finit toujours par ressortir.

Il est fort possible, au demeurant, que la vaccination de masse à laquelle vont se livrer les nations recèle des mauvaises surprises, qu’on détecte certains effets indésirables, qu’on s’aperçoive que les personnes vaccinées restent contagieuses, que la vaccination a seulement un effet temporaire, etc. Mais faut-il suspendre tout, attendre un an, deux ans ou plus avant de vacciner la population, c’est-à-dire laisser la Covid exercer ses ravages pour quelques années supplémentaires ? Encore une fois, avec de tels sophismes, ni Jenner, ni Pasteur, ni les autorités sanitaires au fil du temps, n’auraient réussi à populariser la vaccination, laquelle a permis d’éradiquer un nombre considérable de maladies infectieuses et sauvé des millions de gens.

La vraie raison des scrupules exprimés par les leaders populistes est ailleurs. Ils savent, sondage à l’appui, que c’est dans leur électorat que se recrutent les légions anti-vaccins les plus nombreuses. Ils craignent qu’en imitant l’attitude responsable adoptée par la majorité des leaders politiques – tous ont annoncé qu’il se feraient vacciner dès que possible – ils ne mécontentent leur propre électorat. Jusqu’à maintenant, l’extrême-droite surfait sur la vague xénophobe ou bien sur l’inquiétude suscitée par la délinquance. Elle fait désormais fonds sur l’obscurantisme.

Source : www.engageons-nous.org (18-12-2020)